[26 Avril 2008 – Le Figaro – Dalila Kerchouche] Jeunes femmes très rangées ou collectionneuses enragées, notre « Déco Attitude » illustre notre moi profond.
Pour l’une, c’est une vague irrépressible qui monte en elle et déborde brusquement. Deux fois par an, Isabelle pousse mari et enfants dehors pour ranger, trier, jeter. Tout y passe : le porte-revues qui dégorge de magazines, les placards envahis de hauts chiffonnés et les jouets cassés qui s’agglutinent sous le lit des enfants. Pour l’autre, c’est plutôt un ressac insistant. Chaque jour, Clémence consacre quelques minutes à classer les factures, jeter les journaux de la veille et expédier illico tout objet qui traîne dans de jolies boîtes bien alignées. Deux attitudes face au trop-plein, mais une même nécessité : celle de faire le vide. Superficiel? Pas sûr. « Jeter me libère », explique la première. « Ranger me structure », dit la seconde. Et si ce besoin de vide se révélait, au fond, plus lourd de sens qu’on ne l’imagine? Quels enjeux insoupçonnés nos coups de balayette dépoussièrent-ils? Murs, murs dites-moi qui je suis…Il serait facile de voir son moi sous son toit. Mais gare aux clichés! Contrairement aux apparences, un appartement dépouillé peut révéler une vie intérieure intense, et une maison remplie du sol au plafond, exprimer un grand vide affectif. Ou l’inverse! « La séparation, le renoncement et l’expérience de la perte nous révèlent bien davantage, parce qu’ils sont le signe qu’une mue intime s’opère », explique le psychanalyste Jean-Claude Liaudet, auteur du « Bonheur d’être fragile »(Albin Michel). Pour Luc (43 ans), « jeter est une torture ». Il collectionne livres, CD, DVD et magazines au grand dam de sa campagne qui ne sait plus où posait le pied. « Chacun d’eux me rappelle une émotion ressentie à un moment donné, explique-t-il. Les perdre, ce serait oublier une partie de ma vie. » Loin d’un déchirement, le ménage de printemps, représente au contraire, pour Isabelle, un nouveau départ: « Je ressens un plaisir intense à me débarrasser des vieilleries. » Elle vide tout, pièce après pièce, et compose trois tas: les objets qu’elle garde, ceux sur lesquels elle hésite, et ceux qui vont directement au Secours populaire. »C’est fatigant, nerveusement, de vivre dans un appartement encombré, car l’oeil est sans cesse sollicité, stimulé, envahi, explique la psychiatre Yasmine Lienard. Et finalement, le cérébral l’emporte sur le ressenti et on ne s’écoute plus. J’encourage mes patients à trier et à se délester des objets inutiles. Psychiquement, jeter, c’est plutôt sain. C’est une cure qui nous lave intérieurement et permet de repartir de zéro. » Sensation de fraîcheur, liberté retrouvée, énergie qui se redéploye…L’expérience du vide peut se révéler extrêmement riche. Certains choisissent de la vivre jusqu’à l’ascétisme. Pour Dominique Loreau, le rien, c’est tout! Vivre mieux avec moins : cette expérience, elle en a fait un livre, « l’art de la simplicité » (Robert Laffont). Excédée par l’opulence de l’Occident, cette adepte du minimalisme s’est installée au Japon. Sa garde-robe horrifierait toute fashionista: »J’ai un uniforme, raconte-t-elle. C’est pull et pantalon noir l’hiver, jean et tee-shirt, l’été. Plus une tenue habillée pour les mariages et les enterrements. J’ai très peu de meubles, mais tous fabriqués par des artisans dans du bois de rose. Je préfère avoir peu mais que du beau. Un plaid en pashmina tient aussi chaud que deux couvertures superposées. Comme j’ai peu de choses, j’ai beaucoup de temps pour moi, pour rêver, observer la nature ou parler aux gens que j’aime. » Pour Yasmine Lienard, »vivre dans un espace épuré permet de se concentrer sur soi et d’être plus connecté à vos émotions ». L’architecte et designer Christian Biecher ressent aussi cette attirance pour les lieux épurés. « Ma maison est un grand vide ponctué de petits objets, qui sont comme des aiguilles d’acupuncture dans l’espace. Vivre dans des lieux dépouillés m’aide à me concentrer sur l’essentiel. Et lorsque je dessine des intérieurs plus chargés, j’accroche des miroirs aux murs, pour permettre au regard de s’échapper et de ne pas être prisonnier des objets.
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