Cassandre Herbin est responsable de la marque Casadeco. Elle orchestre la réalisation de 11 collections par an destinées à 98 pays. Cassandre jongle entre les attentes d’une clientèle bavaroise qui adore le total look coordonné et une génération plus jeune qui préfère un simple pan de mur.
Son quotidien ?
Travailler les collections de 8 mois à 3 ans en avance, équilibrer une croix de style entre classique, contemporain, évasion et tradition, et s’assurer que chaque pays trouve au moins deux collections adaptées parmi les onze proposées annuellement. Depuis 20 ans, une coloriste gère une palette de 60 couleurs, intégrant le Pantone de l’année tout en anticipant les évolutions – du bleu ciel marié au marron aux verts d’eau qui remplacent progressivement les kakis.
Entre les toiles de Jouy chinées à 1500€ auprès d’ateliers spécialisés, les QR codes qui mettent chaque papier en situation réelle, et la production numérique qui préserve la richesse des maquettes, Cassandre raconte l’envers du décor d’une industrie qui habille notre quotidien
Une stratégie millimétrée sur 98 pays
Casadeco ne laisse rien au hasard. Onze collections par an, un planning orchestré au cordeau : septembre pour les collections rassurantes, souvent végétales, qui accompagnent le renouvellement des abonnements commerciaux. Janvier pour les lancements plus impactants, ceux qui créent de l’image lors du salon Paris Déco Off.
Cette croix de style n’est pas qu’un concept marketing. C’est la promesse de répondre à plus de 80% des besoins de tous les pays sur chaque lancement. La Bavière veut du total look ? Elle l’aura. L’Angleterre manque d’espace dans ses petits cabinets d’architectes ? Casadeco imagine des formats mini-boucles. L’Asie expose dans des centres commerciaux exigus ? Des formats réduits permettent d’optimiser chaque mètre carré.
Le système d’abonnement, mis en place depuis 20 à 25 ans, offre aux revendeurs partenaires des tarifs préférentiels et les collections en avant-première. Huit collections avec six imposées et deux au choix, des exclusivités territoriales pour éviter la concurrence entre boutiques proches. La Bretagne constitue d’ailleurs une région de vente importante pour l’entreprise.
Les coulisses d’une collection
Cassandre Herbin achète des dessins auprès de studios de création, des ateliers avec lesquels l’entreprise a des habitudes et qui emploient plusieurs artistes aux styles différents. Les belles toiles de Jouy sont chinées dès qu’elles apparaissent – elles racontent une histoire et sont rares. Une maquette peut coûter 1500€.
Mais acheter un dessin ne suffit pas. Il faut l’adapter au papier peint, un exercice différent du tissu. Les oiseaux sont supprimés ou modifiés – trop agressifs en papier peint, considérés de mauvais augure dans certains pays sauf s’ils sont subtilement intégrés dans un médaillon. Les diagonales disparaissent. Le drapé du tissu casse la répétition des motifs ; le papier peint n’a pas cette liberté.
Les contraintes techniques imposent leurs règles : 25,5, 26,5 et 64 pour les raccords gravés sur cylindres. La production traditionnelle limite à 5 voire 7 cylindres maximum, un par couleur, ce qui appauvrit les dessins complexes. C’est là qu’intervient le numérique, préservant toutes les couleurs sans graver de cylindres, gardant la richesse des maquettes. Le motif ananas, le ficus – ils auraient perdu leur âme en production traditionnelle.
Une palette qui respire
La coloriste de Casadeco connaît par cœur les 60 couleurs de la marque depuis 20 ans. Elle intègre les nouvelles tendances – les bordeaux, les couleurs plus chaudes qui reviennent. Le mocca mousse, Pantone 2025, mi-marron mi-rose, difficilement plaçable mais intégré quand même.
Le bleu ciel fait son retour, marié avec du marron, et s’étend au-delà des chambres d’enfants. Les verts évoluent vers des verts d’eau et des verts grisés. Les kakis disparaissent progressivement. Les ambiances feutrées – terracotta, ocre, mordoré – cèdent la place à des couleurs soit plus franches, soit plus douces. Les couleurs sépia sont en fin de cycle.
Les boucles d’unis se renouvellent tous les trois ans. Même les neutres – beiges, blancs, gris, taupes qui représentent 60% de la palette – évoluent constamment. Rien n’est figé.
Les intemporels réinventés
La collection Solaris travaille le grain et la structure, où la lumière joue sur les motifs. Effets métalliques dorés, bronze, argentés, aspérités cuir sur les marrons. La collection Rio introduit une frise léopard avec des couleurs flamboyantes, une technique de sablé appliquée sur les crêtes des langues de belle-mère pour apporter du relief.
L’innovation qui facilite le choix
Casadeco a créé des QR codes personnalisés à l’arrière de chaque papier peint. Ils ne renvoient pas simplement au site internet – ils mettent le produit en situation réelle. Photos authentiques, pas de 3D. Shootings organisés en studio ou dans des maisons pour une lumière réaliste et des ombres.
La technique de mapping optimise les sessions : les murs sont photographiés en blanc, puis les papiers peints sont intégrés numériquement pour présenter les autres coloris. Le client indécis en magasin conserve le lien, montre les références à domicile, finalise son choix.
Car le papier peint ne s’achète pas en libre-service. Il faut justifier les choix techniques – pourquoi le numérique pour l’ananas, pourquoi marier le vinyle dans les zones de contact avec la toile de Jouy sur les murs moins exposés. Le raccord « nickel » masque les jonctions des lés une fois posés.
Une veille permanente
Casadeco s’abonne aux conférences Nelly Rodi une à deux fois par an, participe aux conférences de la CCI de Lille sur l’évolution du retail. Ces formations permettent de sortir du quotidien, de conforter les décisions stratégiques déjà prises, de rester à l’affût.
Cassandre Herbin regarde ailleurs aussi – dans la mode, où le léopard fait fureur sous toutes ses formes.
C’est notre travail de se dire là il y a un truc à saisir et il faut l’amener en décoration. Le motif et la couleur, c’est quand même les deux combinaisons parfaites pour exprimer la décoration.
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