[30 Octobre 2008 – Nouvel obs – Katia Pecnik, Léna Mauger] La défense de l’environnement et un mode de vie économe pourraient bien tirer bénéfice de la crise. Et si les écolo avaient raison depuis longtemps?
Les décroissants, les accros du bio, les babas de l’Ardèche, le peuple des cabanes, tous ceux qui, depuis des années, nous serinent d’arrêter le shopping frénétique et d’abandonner notre abominable voiture… nous avaient bien dit que nous vivions de fantasmes, à croire que nous pourrions gaspiller indéfiniment les ressources de la planète. Ils prédisaient une catastrophe écologique. La catastrophe est arrivée plus vite que prévu. Elle est financière et mondiale. Alors que les Bourses s’effondrent, que le capitalisme tremble, les écolos, avec leur mode de vie économe et leur système D, semblent aujourd’hui détenir les clés pour résister en temps de récession. Achats rationnés, jardins partagés, rejet du pétrole… nos petits greens ne connaissent pas la crise. Ceux qu’on regardait comme des «ayatollahs de l’écologie» commencent-ils à devenir des références pour nous tous? La métamorphose n’est pas encore spectaculaire. En matière de vert, les Français restent très en retard par rapport à leurs voisins européens. En Suède, tous les bus de la capitale roulent déjà au bio- éthanol. En Allemagne, des dizaines de milliers de maisons sont équipées de panneaux solaires, grâce à des aides de l’Etat. L’Autriche, elle, consacre 13% de ses terres cultivables à l`agriculture bio, la Lettonie 9,4% contre 2% seulement en France. Et pourtant l’écologie est dans l’air du temps. Certains se contentent du «service minimum» : ils trient leurs leurs déchets (le tri des ordures a doublé en quinze ans). D’autres, plus engagés, se distinguent progressivement: les recycleurs, compacteurs. Et les métropuritains, ces urbains écolos radicalisés, qui quittent la ville pour vivre au vert sans électricité dans des cabanes ou des roulottes, sont de plus en plus nombreux. «Les gens s’aperçoivent qu’ils auraient dû écouter depuis longtemps eux qui lancent des alertes sur la pollution ou la biodiversité, explique Yves Michel, éditeur d’ouvrages sur l’écologie et élu des Hautes- Alpes. Ils passent aujourd’hui du statut d`observateurs curieux, mais passifs, à celui d`acteurs.» Ces néo-écolos commencent à consommer autrement. Ainsi, le bio n’est plus l’apanage des bobos. 37% des Français en achètent régulièrement. Résultat, les moyennes surfaces spécialisées se multiplient. Comme le réseau Biocoop, doté de 320 magasins. «On note de plus en plus de nouveaux venus, explique Denis Geffrault, directeur de deux Biocoop parisiens. Des 25 et 40 ans, qui n’achètent pas tout bio, mais décident de faire un effort, en ne consommant au moins que des fruits et légumes locaux.» Autre preuve de cet engouement: les Amap, les Association pour le Maintien d’une Agriculture paysanne, sont submergées. Cette formule repose sur un principe simple: les consommateurs adhérents préachètent chaque semaine un panier de légumes ou de fruits bio à un producteur local, pour limiter les transports. En Loire-Atlantique, la liste d’attente est estimée à 2 500 familles, à Paris, à plusieurs milliers. «En consommant local, en faisant des actes qui les rapprochent de leur environnement, ceux qui s`y mettent se sentent utiles. L`engage ment est souvent très pragmatique», explique Stéphanie Geslot, coordinatrice à l`association Bretagne rurale et rurbaine pour un Développement durable. Autre raison de cette vague verte: «Il y a un effet réassurance», ajoute cette militante. Les écolos d`hier ont en effet réussi à mettre en évidence des solutions simples qui marchent. Exemples ? Avoir une clim et un chauffage naturels grâce à un puits canadien (couloir d`air à creuser sous sa maison). Isoler son logement avec du chanvre. Se meubler classe éco en brocante. Vivre vert n’est plus vivre austère. Et surtout, écologie = économie. Parce que, contrairement à une idée reçue, le bio n’est pas inaccessible. De nombreuses chaînes de supermarchés sortent des lignes «AB», à bas prix. L’habitat affiche lui aussi des tarifs très abordables et l’éco- construction permet de réduire encore les coûts. «Vivre écolo n’est pas un luxe, explique Frédéric Gens, fondateur d’une société de véhicules électriques. Consommer moins d`énergie et mieux manger, c’est économique. L’aspect écolo, CO2, peut fonctionner en Allemagne, poursuit-il. Mais, en France, on aura gagné le combat uniquement si on parle porte-monnaie.» Enfin, si les Français virent au vert, c’est aussi pour des raisons de santé. Par exemple, c’est à la naissance de leur enfant que de nombreuses mères, terrifiées à l’idée que leur bébé boive du lait mélaminé, font entrer l’écologie dans les foyers. Les mêmes craintes poussent les gens à acheter des cosmétiques bio. «On commence à douter des produits super élaborés, explique Violette Watine, fondatrice du site Mademoiselle Bio (1). Alors on redécouvre des produits plus bruts et sains, comme les huiles.» Même les grandes marques (mode, agroalimentaire, automobile…) créent aujourd’hui des départements dédiés au développement durable. Bien sûr, leur geste répond surtout à un impératif marketing. Pourtant, ce label vert devenu inévitable pour booster une image démontre une chose : les Français s’inquiètent pour leur environnement. Et même si l’impact politique de cette attitude n’est pas encore déterminant, les écolos, par leurs actes de «consommaction», feront peut-être un jour pencher la balance.
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