Bruno Moinard est un architecte-décorateur de grand talent. Il travaille pour des maisons de luxe (Cartier, Chaumet, Hermès, Galeries Lafayette) et pour des institutions culturelles (Musée des Arts Décoratifs, Musée Rodin, Opéra Garnier…). Il travaille également pour des particuliers et ce à travers le monde.
A l’exposition AD Intérieurs 2013, sur le thème de la métamorphose, il présente un salon – salle à manger mythologique, une pièce recouverte de métal perforé rétroéclairé avec au centre, entre une table triangulaire immense et une méridienne, un taureau musclé.
Bruno Moinard nous raconte l’histoire de ce décor.
Est-ce que le thème imposé Métamorphose était un thème inspirant ?
Ce thème est très inspirant. Comme il est également agréable d’avoir des clients qui savent ce qu’ils veulent, cela donne une trame. Les contraintes sont importantes, quand elles sont les mêmes pour tout le monde, c’est intéressant de regarder qui joue le jeu.
C’est un projet qui se passe au téléphone. Nous apprenons que nous sommes sélectionnés. Le lieu est indiqué. J’ai l’habitude maintenant de travailler à distance. J’ai des projets à Toronto, en Chine. Notre clientèle comme le public AD intérieurs aime qu’on lui raconte une histoire. Nous passons notre temps dans les chantiers. Transformer, c’est notre métier. C’est aussi métamorphoser. Il y a quelque chose d’éphémère, comme la chrysalide. J’ai imaginé plein de choses, une double peau, habiller l’ensemble, lui donner une histoire, c’est l’histoire de Daphnée et Apollon. La double peau est en plaque de bronze, en feuilles de lauriers, avec derrière un fond noir. La lumière va venir éclairer par derrière.
Une grande table de 3m50 de long sera posée sur des pieds en bronze comme un galet en lévitation. C’est un anneau triangulaire, en bois massif. Ce sera tactilement doux. Cette table est aussi bien un bureau, qu’une table de salle à manger. Le canapé est une méridienne de 3m50 de long, qui permet de se reposer, d’écouter de la musique. Il est convivial. Il est capitonné.
Nous avons fait intervenir un artiste dont le travail sera projeté au plafond.
De la musique douce sera diffusée en plus de l’image abstraite sur les murs. Cela va accentuer le côté poésie. Nous allons jouer avec la lumière, le confort du tapis. Tous les objets, les formes et les matières choisis vont échanger.
L’endroit est évidemment scénographié. Il doit faire rêver. J’ai imaginé mettre un cheval cabré au centre avec des ailes, puis un cerf et finalement un taureau musclé avec en son torse, un rectangle avec à l’intérieur des papillons qui s’échappent.
Cela a été rendu possible grâce à notre collaboration avec Deyrolles avec Louis Albert de Broglie.
Pour que ce décor devienne réalité, nous faisons appel à de nombreux artisans. Nous avons souhaité travailler le bronze, matière qui nous est familière. Nous l’utilisons dans les boutiques Cartier. Il correspond à notre goût d’apporter de l’identité et une qualité. Nous allons habiller les murs de bronze. Le bureau est aujourd’hui en ébène. Mais, tout ceci peut encore changer. C’est de l’esprit du projet dont on parle. Cela peut encore se métamorphoser…
Quelles sont les contraintes quand on travaille dans un lieu qui a cette histoire avec de tels volumes ?
Les contraintes sont comme toujours la sécurité, le risque d’incendie et le problème du poids. Les locaux nous sont prêtés le temps de l’exposition. Il faut être autonome, ne rien accrocher aux plafonds, ne pas toucher aux murs. Ce n’est pas un stand. C’est pourtant pérenne. Ce n’est pas un décor. Nous avons 5 jours pour tout poser. On est dans un esprit de concours. Nous avons carte blanche. Nous sommes dans le suspense jusqu’au moment de l’exposition. Tout cela a un prix. C’est nous qui finançons.
Un conseil à nos lecteurs pour l’aménagement d’un salon.
Je m’adapte à l’échelle de mes clients. En France, je travaille sur un salon parisien de 30 m² et en Chine, je travaille sur des salons de 200 m². Ce qui est important, c’est l’histoire que l’on raconte dans une maison. C’est un calcul savant, le passage d’une pièce à l’autre, d’une ambiance à l’autre. Je regarde la lumière. Finalement, dans un salon, l’essentiel est d’être bien assis. Il y a quelques années, dans un grand salon, le choix se portait sur un grand canapé. Aujourd’hui, je privilégie les canapés 2 places. Les personnes aiment avoir un accoudoir. Dans un canapé, trois places, la personne du milieu ne sait pas où poser son verre. Un salon doit être lumineux, convivial et confortable.
Vos projets?
Ils sont nombreux en France, au Bénin, au Canada, au Maroc, en Egypte, à Dubaï, en Chine… Ils sont variés, pour des institutions, des boutiques, des maisons privées, des hôtels particuliers, des appartements, des scénographies. Le projet du musée des Arts décoratifs a représenté 10 ans de ma vie. Une scénographie va me prendre 15 jours. Je jongle avec des changements de culture. Je ne travaille pas de la même façon à Cotonou où Dieu va nous aider ou à Shangaï, où la construction d’un siège social de 148 000 m² va prendre seulement 22 mois. Je fais rêver mes clients avec des dessins et des matériaux et le résultat doit être à la hauteur de leurs attentes. Je dois derrière gérer les délais, les intempéries, toutes les problématiques d’une entreprise. C’est un parcours guerrier. Mais, quand 2 ans après, mes clients ressortent les dessins et que cela correspond, je suis satisfait.
Vos envies?
Elles viennent des rencontres. Je termine un projet de 10 ans à Toronto. Le chantier du Plaza Athénée, qui va commencer, le projet d’un restaurant à Londres avec un chef français. C’est la relation avec le client qui prime. Un client merveilleux vous porte. J’ai travaillé 15 ans avec Andrée Putman. Pour moi, c’est l’humain qui est intéressant. Il faut savoir être généreux, faire du luxe et du moins luxe. Rester conscient du monde que l’on traverse.
DKOmedia* publie un livre blanc sur l’utilisation des médias sociaux dans les métiers de la décoration. J’aurais aimé connaître votre avis sur ce sujet ?
Je n’utilise pas les réseaux sociaux. J’ai une méthode de travail différente. Je gère une agence avec 25 personnes. Aujourd’hui, le problème est la communication. Dans un bureau, je ne conçois pas que deux personnes en face à face s’envoient un mail au lieu de se parler. Les clients viennent nous voir pour du merveilleux et le merveilleux n’existe pas en l’état. Il nécessite de régler des problèmes. Je travaille pour des clients exigeants (Musées, Grands Hôtels, des boutiques, des grands patrons…). En général, les clients souhaitent me parler directement. Je n’ai pas besoin de ces réseaux. Cela prend du temps. Mes journées sont déjà bien chargées. Il faut tenir les projets avec des personnes qui ont toutes un point de vue différent. Je suis à leur écoute. Il faut être polyvalent et humble car il est facile de trébucher. Cela fait 15 ans que je travaille avec François Pinault. J’ai aménagé 340 boutiques Cartier dans le monde. Bernard Arnault me fait également confiance.
Bruno Moinard – 41, avenue Montaigne 75008 Paris. Tél. : 01 56 88 21 00 http://www.brunomoinard.com
*DKOmedia est l’agence de marketing et de communication spécialisée dans les médias sociaux qui produit le magazine en ligne DKOmag
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